Persona non grata

15.6.11

persona non grata

Persona non grata ! C’est comme ça avec un air supérieur, le dédain coincé dans un sourire pleines dents que tu parlais d’elle, toi, la femme de grande vertu. Parce qu’elle, cette créature, disais-tu, il ne faut en aucun cas s’en approcher. Il faut l’éviter comme la peste, se méfier, c’est un animal invertébré, un serpent de l’enfer qui peut détourner du droit chemin tout jeune garçon pris dans ses crinolines. Vulgaire, elle est vulgaire, scandais-tu. Elle apostrophe, éructe et siffle sa perversité d’un venin toujours prêt à sourdre. Elle est capable de t’alpaguer au coin d’une rue, de serrer sa ganse à ton mollet, de te faire basculer sans salut, ni point de retour, la honte et le déshonneur à jamais suspendus sur ta tête.

Persona non grata ! Dans un roulis de paroles, tes yeux révulsés, l’opprobre léché sur tes joues, tu te vidais sur elle, sur sa désinvolture, sa trivialité et sa gouaille de mauvaise fille. Tant et tant que je ne voyais plus où trouver la méfiance qu’il fallait s’accorder à prendre ; elle s’évaporait dans le flux de tes vilenies, se perdait dans l’exubérance de ta fronde. Des mots complexes, des phrases à rallonges ajoutaient du fiel à sa vie dissolue et moi, je te regardais, chien battu, ne comprenant pas quel mal aurait pu me faire cette femme à la peau laiteuse, au regard noir et si doux. Effet inverse, effet pervers, tout cela ravivait en moi la tentation de la persona non grata. Plus tu déblatérais, plus tu m’interdisais et plus je trouvais belle cette créature au crochet des portes rouges. Et l’envie soudaine puis permanente de me précipiter dans la rue, de courir vers elle, de monter derrière l’embrasure l’escalier haletant, de me blottir sans jugement et de gratter la persona.

illustration

Texte publié initialement chez Céline Renoux dans le cadre des vases communicants du mois de juin.

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