Par les mouches

26.9.11

image Il est allongé sur son lit. Depuis une heure ou deux, il ne sait plus vraiment. La fenêtre de la chambre est ouverte sur le jour pâle et le rideau joue avec un vent doux qui vient de temps à autre lui lécher le visage. Un visage émacié qui ne tient qu’à quelques os saillants au creux de pommettes disparues. Il a le regard fixe et inhabité, un regard plafond des jours de haute culpabilité, où on a tout perdu, de soi, et des autres. Dans la pièce voisine, la cuisine, un bruit de trancheuse à jambon tourne en boucle, un timbre lancinant qui zèbre le vide de l’appartement. Il ne semble pas embarrasser, au contraire, le son en cercle aigu le berce et ses paupières plombées clignotent. Dehors tout est calme, excepté les clameurs ordinaires : voitures qui démarrent, claquement sourd des portières, voix étouffées du petit matin et quelques sirènes de police égarées. Deux mouches entrent dans la pièce. D’abord cachées dans les voilages, elles se dirigent de concert sur le pas de la porte d’où coule un jus gras qui macule la moquette par vagues lentes. Elles volètent en duo harmonisé en lâchant leur bourdonnement par saccades puis se posent et tètent goulûment le liquide qui se répand en tache noire. Un lourd silence et elles réamorcent leur vol autour du lit, quelques secondes suspendues à son regard et elles replongent. Toujours étendu, ses yeux roulent sur le manège tandis qu’une odeur âcre vient lui exciter le nez, il suit les mouches, balayent l’air d’un revers de main et sent soudain remonter la douleur en lui. Les mouches sont rejointes par une autre siffleuse, puis deux, puis trois… Une nuée de mouches s’abat sur la chambre, elles s’agglutinent une à une sur la flaque comme abeilles sur pot de miel. Elles couvrent désormais l’ensemble de la tache et leurs ailes collées au sol laineux se colorent d’un rouge écrasé. Il se lève enfin, résolu à se débarrasser des fâcheuses, s’arme d’une chaussure et tandis qu’il jette sa main en arrière, la porte s’ouvre brusquement et le cadavre sanguinolent de sa femme, gorge tranchée, s'écrase à ses pieds.

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