Les éléments

3.10.11

Les éléments Une nuit comme camouflée. Il se réveille chaud du bas ventre entre un radiateur tiède et un canapé en nubuck marron glacé. Les oreilles en bourdons et l’haleine d’un hareng saur, il regarde tourner en sifflement métronome les lames poussiéreuses d’un ventilateur accroché au plafond. La nuit est passée sans lui, sans qu’il sache ce qu’elle a fait de lui. Une nuit comme escamotée de sa mémoire. Il tente de se redresser sur ses jambes qu’il a tordues sur les accoudoirs du canapé, il ripe en s’appuyant sur le radiateur, frappe sa gueule de bois sur les rondins en fonte et s’ouvre le menton qui pisse aussi sec un sang verni sur les gros coussins en nubuck.

Il laisse échapper un renfrognement en assorti de consonnes lourdes, quelque chose de l’ordre du cri primal en moins sauvage, puis empoigne fermement le dossier du canapé décidé à comprendre quel désordre l’a emmené ici, dans cet appartement qu’il découvre sordide et dans lequel, semble-t-il, les éléments ont choisi d’être belliqueux. Péniblement relevé sur ses jambes, il chancelle un instant et tout en éructant un souffle d’alcool la main devant la bouche, il se barbouille le visage du sang giclé de son menton. Il se retourne la tête en portefeuille, crispé par une force centrifuge qui semble le coller au parquet et découvre flanqué au mur un miroir biseauté et buriné d’éclat noir dans lequel il aperçoit son image écornée, joues purpurines pour une face grêlée d’acné.

Un autre cri, plus rauque et plus profond, un cri d’effroi mélangé à de la répulsion résonne, tape les murs, rebondit dans le moelleux des coussins et finit sa course en boomerang dans ses oreilles activant une pression insoutenable sur ses tempes. Il recule d’un pas et en levant les bras en incantation à je-ne-sais quel dieu des débauchés, les pales du ventilateur lui sectionnent le bout des doigts et diluent des bouts d’ongles et de chair aux quatre coins de la pièce. Il s’écroule à nouveau entre le radiateur et le canapé et s’évanouit. Une porte s’ouvre à l’autre bout de l’appartement, une lumière douce glisse sur le parquet maculé de sang, le thermostat se déclenche et le ventilateur s’arrête. Par la fenêtre, le jour se lève.

illustration : Loftboutik

Dans le même tiroir