Infini blanc

8.11.16

Un matelas de neige et le bruit friable de ses pas comme des cassures de polystyrène, il avance, en estimant prudemment chaque pesée de son corps, chaque preuve de son existence sur la matière molle et fragile. Il cherche les mots, de lointains mots qu’il invoquait jadis pour se sentir au monde, pour éprouver ses sens aussi bien que sa chair ; il cherche comment dire ce blanc qui l’entoure, comment rendre compte du vide que c’est l’infini blanc, à dégager l’impression de vacuité, le vertige de la disparition, mais aussi la perte de tout repère et la solitude qui en déraisonne. Par trop de blanc qui rend aveugle, qui masque son esprit d’une bâche définitive, il renonce à dire et s’abandonne à respirer la vaste étendue, les pieds automates et la tête piquée au ciel.

La neige et à défaut d’horizon, il chemine sans but. Quelques arbres peignés du même blanc tentent de l’arrêter mais s’enfoncent eux aussi – ils ne découpent plus aucune perspective. Ils sont dorénavant des impostures, plantés là pour tenter de borner ce qui n’est plus, ce qui n’a jamais été, probablement. Ses pas mécaniques sont ses seuls guides, au-delà les sensations hibernent : la vue devient trouble et oublieuse des dimensions, l’odorat est piégé sous les clous du froid, le goût du sang affleure à ses lèvres fendues et ses doigts s’engourdissent dans des gants garde-fous. Avec plus rien que le silence sur les épaules, il avance sans réfléchir. Désormais, même son ombre lui tourne le dos.


 © Craig Persel
http://www.craigpersel.com/



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