À ces deux mouches

À ces deux mouches
qui se rapprochent
en se cherchant des ailes
sous le crépitement de la lampe,

je voudrais dire
la tendresse de l’approche
et l’ardeur des enfants
dans les cours d’école,

mais aussi l’automne
qu’elles provoquent
dans le visage du soir.

2017
  • 29.9.25

À table !

Un enfant lance un rire 
et la rue se déplie sur midi. 
L’heure a des impatiences
que seuls les enfants admettent. 

Depuis les fenêtres, la loi 
des couteaux et fourchettes 
fait son œuvre ancestrale. 

Quelqu’un reprend le rire 
comme un cri : À table !
  • 27.9.25

Équilibre précaire

De l’enfance, je retiens cet équilibre précaire dans lequel le monde se tenait. Le monde des adultes et celui des enfants étaient si dissemblables que j’avais l’impression qu’un vent violent les séparait toujours. Le ciel était ce carré de marelle qu’il fallait gagner à coups de caillou, alors qu’il était acquis que seuls les morts pouvaient l’atteindre. Être dans les jupes de sa mère relevait d’une irrémédiable timidité, alors que c’était le seul endroit paisible où les deux mondes s’accommodaient. L’oisiveté était ce vilain défaut qui faisait, le jour, de nos lits les pires lieux de débauche, tandis que, le soir venu, il fallait s’y réfugier le plus tôt possible pour bien s’y reposer.
À quoi bon tenir la rampe pour passer d’un monde à l’autre et y devenir un de ces grands abîmés absurdes : le jour, donneur de leçons, long corps courbé menaçant de son index d’exclure l’enfant du jeu, et, la nuit venue, dans un vain espoir de rétablir l’équilibre, conteur d’histoires merveilleuses au visage badigeonné de tendresse.

2020
  • 26.9.25

Boursouflures

Le matin a des boursouflures sur le visage.
Un air aiguisé comme un couteau de boucher traverse la fenêtre.
D’un coup d’œil dans la rue, je me dis que l’éboueur est trop vieux pour être encore éboueur.
Quatorze degrés pointent le bout de leur nez, comme s’ils étaient de vieilles connaissances.
Sur le balcon d’en face, la voisine a troqué son short contre un pyjama jaune poussin, qui fait office de phare dans le petit jour encore gris.
Je déclare officiellement la saison des plaids ouverte.

2021
  • 24.9.25

Alors…

Je ne sais même pas
qui je suis. Alors,
penser — bien ou mal,
comment savoir ?

Une boule de poussière,
à l’origine de la question,
roule sous le lit, poussée
par le courant d’air
de mon esprit.

Et tout s’emballe.

Je ne sais même pas
qui je suis. Alors…
  • 20.9.25

La nuit n’a pas suffi

La nuit n’a pas suffi.

Je cherche le poème,
qui dirait la fatigue
étalée sur la table.

Un rayon de soleil
complexe
cogne à la vitre.

Je replie des pensées :
aligne, trie, croise, toise.

Me viennent des verbes
sans determination.

Les mots n’ouvrent rien.
La nuit n’a pas suffi.

2023
  • 17.9.25

Ce qui fuit

Je tiens le jour entre mes mains,
un regret un peu flou dans le creux.

Un air de violon échappé d’une fenêtre
lui joue une mélancolie douce.

Je serre les poings pour le retenir,
ressentir un instant ce qui fuit.

Entre les doigts et sous l’archet,
à contrecœur bat le tambour.

2018
  • 15.9.25

Éclat

Un éclat de lumière
ferme la vue de la fenêtre.
Tes yeux se mettent à courir 
dans la chambre, à chercher
une ombre où apaiser le regard. 

Tu brûles du dedans, 
ta peau reste aux abois,
frissons et nouvelle rosée
sur l’écorce de nos mémoires. 

L’éclat d’un souvenir
entrouvre nos draps défaits :
tu parles un peu de la lumière
et de ton feu une joie neuve
s’empare de notre arbre.

2019
  • 13.9.25

Fatigue nouvelle

Le jour descend de son échelle,
avec lui l’absence.

Je pèle une mandarine, 
sous les ongles une fatigue
nouvelle comme la saison. 

Je pèle, épelle ton nom,
dessine les lettres
avec les peaux pleines de jus.

Le jour descend de son échelle
ou bien est-ce d’un arbre,
d’un vieux mandarinier
qui fait de l’ombre.

Tu préférais les clémentines,
je crois — le souvenir fond
sous ma langue.
  • 12.9.25

Le temps est à l’oubli

Comme une embuscade, le jour tombe et le ciel se fend en deux au-dessus des petites colonnes que forment les cheminées sur les toits. Une des baies de la maison d’en face s’éclaire, et un visage derrière les rideaux s’enferme dans leur ombre.
Le temps est à l’oubli. Le temps est au repos, pour une fin de journée que l’on étire dans un soupir d’aise.
Il n’est que dix-huit heures, mais un homme prépare déjà la table du soir : il ajuste une nappe, dispose deux couverts, une assiette, et roule une serviette en papier dans un verre à pied.
Il circule un moment dans l’encadrement de la haute fenêtre, puis disparaît, tandis que l’autre baie vitrée s’illumine d’une lampe jaune pâle. C’est celle du salon, où l’homme s’installe dans un fauteuil pour lire. Il finit le thé froid oublié sur le coin du guéridon. Son regard se perd à travers la vitre et la rue endormie.
Il fait une grimace — qui retrousse son nez et écarte ses yeux — lorsqu’au fond de la tasse il trouve un reste de sucre : une saveur du passé, comme une douceur disparue.
  • 9.9.25

Plus qu’il ne faudrait

La maison, avec ses joues roses, son air frais, tarde à s’éveiller. Sur la table, une tasse de café et un livre ouvert attendent que la journée commence.
Derrière la fenêtre, le vent passe comme quelqu’un. Un oiseau et mon attention au monde s’en émeuvent. 
Un temps de rêverie allume quelques carreaux et des pensées sans but ni durée. La rue s’éclaire lentement, la lumière gagne la table, puis la tasse de café, vient sur le livre pour en déchiffrer les pages. J’en resterai là longtemps, plus qu’il ne faudrait.
  • 7.9.25

Le bras

À l’heure où tout commence à se calmer,
un bras descend sur votre épaule.
Le corps ralentit sous la rumeur,
les bruits sous cloche n’ont plus d’échos.
Si on savait le peser, l’air serait plus léger.
Oh ce qu’il enlève de poids ce bras invisible
qui après le jour descend vous enlacer.

2023
  • 4.9.25