C’était le vent d’hiver

27.12.10

image C’étaient les premières notes de « vive le vent » fausses et mal assurées alors que nous étions encore en automne, les gesticulations du chef d’orchestre, madame Boyer, notre professeur de musique, vieille fille disait Maman et moi qui croyais qu’on l’appelait ainsi parce qu’elle était assurément la fille la plus âgée de l’école. C’étaient les odeurs rances et poussiéreuses qu’elle dégageait quand elle nous parlait de trop prés et les rires qui fusaient quand elle postillonnait sur l’assemblée à la reprise du refrain. C’était le canon qu’elle tentait de nous imposer, les garçons qui démarrent, voix qui muent et les filles en crécelles de reprendre après notre premier couplet. C’étaient les minutes de chahut avant de se mettre en place pour la dernière répétition, les grands derrière, les petits accroupis devant, et les tenues imposées, hauts rouges et pantalons blancs.

C’était, le jour venu, sentir l’angoisse monter, les parents affluer dans le réfectoire, les tables poussées au fond, les unes sur les autres, le grand sapin qui clignote, le raclement des chaises d’école sur le carrelage, les manteaux qui s’empilent dans un coin et, nous, petits lutins rouges et blancs, les mains moites, les yeux rivés sur madame Boyer qui sentait trop fort l’eau de Cologne. C’était le radio-cassette qui grésille, la bande à rembobiner au début de l’instrumental, les voix dans du papier cadeau, parasitées par le monde, trop de gens dans cet endroit familier, parcouru d’habitude par des êtres de même taille que nous, des visages qui nous scrutent, sourires pantelants, attendris sur nos minois apeurés. C’était chanter sans s’arrêter, sans suivre la mesure, regard sur Maman, ne plus voir madame Boyer que dans un flou agité, la sueur froide dans le col roulé qui glisse dans le dos.

C’était s’arrêter sur la dernière note, en apnée tout le long, reprendre son souffle, s’étonner des applaudissements nourris, des « bravos » exagérés, de madame Boyer, de sa bise qui pique sur nos joues pourpres et de la fierté vue dans ses yeux. C’était pour certains à nouveau courir dans les allées, pour d’autres se coller dans les jupes de maman, puis se rassembler une dernière fois autour du sapin, monsieur le directeur, en costume gris, cravate bien nouée, de nous féliciter en distribuant à chacun un petit sac plastique avec une mandarine, un carambar, une papillote ou une pâte de fruits et un jus d’orange en brique.

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