On change d'heure

17.12.15

Ce week-end, on change l’heure. Le temps s'arrête dans la nuit de samedi à dimanche, entre deux et trois heures du matin - un instant d’éternité.

Dimanche, Il est 16h30 - heure d’été.

Elle est assise devant son père et essaye d’engager la conversation avec des futilités. Elle parle de la pluie, du beau temps, des années passées et d’autres discussions qui n’ont pour seule importance que celle d’entendre à nouveau son père parler. Lui se tient assis dans son vieux fauteuil fripé au milieu de la cuisine obscure. Une faible lumière naît par la fenêtre et meurt sur ses mains fermement posées à plat sur la table. Il commence à faire froid, c'est la fin du mois d'octobre et elle attise la cheminée qui déploie une belle flambée rassurante. Son père regarde fixement les flammes, perdu dans des pensées infinies. Il ne répond pas et se contente de quelques rictus nerveux et décalés avec le monologue de sa fille. Il sourit béatement sans comprendre ce qui se passe, ce qui est dit et qui est cette inconnue bavarde assise à sa table.

Elle se lève pour faire du rangement dans la pièce et dans ses idées ; se saisit du balai et commence à tournoyer autour du père. En passant sous la table, elle effleure ses pantoufles, donne quelques coups sur les pieds du fauteuil. Il demeure figé et sourd, imperturbable. Elle ne faiblit pas et malgré la situation oppressante, elle continue à parler comme si rien n’était. Et rien n’est. Elle passe en revue la vie de son père, de la famille, parle de son ancien travail, de sa mère tout en passant un chiffon doux sur l’ensemble des meubles de la maison. Elle nettoie les moindres recoins et trouve des commentaires et des anecdotes à raconter sur chacun des objets briqués.

Quelques heures passent jusqu’au coucher du soleil. A court de paroles, elle s’assoit prés de lui, attrape ses mains restées jusqu’alors plaquées sur la table et les serrent fortement contre sa poitrine. Le vieil homme tourne la tête surpris de cette initiative. Ses lèvres sèches tremblent un peu. Il tente de parler, de lui donner quelque chose, cherche l’eau dans les yeux de sa fille. Par un regard, par un toucher, elle transmet la chaleur que les mots ne portent plus. Ses paupières couvrent une mine de sel sec, il se penche sur la joue de sa fille et dans un râle profond, murmure à son oreille :

« Je pars... »

Il ne reste plus que quelques cendres rougeoyantes dans la cheminée. 

Dimanche, Il est 18h30 - heure d’hiver.

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