S04 #BioDuJour – Véronique, Agathe, Gaston, Eugénie, Jacqueline, Apolline et Arnaud

10.2.16

Semaine 04 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


04/02 – On fête les Véronique #BioDuJour

Véronique est une quinqua qui aime les dames
Dans son lit toujours une demoiselle se pâme

Véronique aime les jeunes filles bronzées
Au visage émacié et un peu paumées

Véronique n’a cure des quolibets et jacasseries
Elle est heureuse, elle ne s’appelle plus Henri

05/02 – On fête les Agathe #BioDuJour

Agathe a seize ans et un amant
De vingt ans qui la prend pour une enfant

Agathe a le blues car c’est un amoureux
Qu’elle veut, pas une tête de noeud

Agathe fait le mur et sort jusqu’au matin
Ses parents ne savent rien de son chagrin

24. 06/02 – On fête les Gaston #BioDuJour

Gaston a huit ans et des frocs trop longs
Il marche dessus, tombe et a l’air couillon

Gaston s’habille d’idées larges et fières
Avec les haillons de son grand frère

Gaston se marre fort et sans raison
C’est crispant mais on l’excuse : il est mignon 

07/02 – On fête les Eugénie #BioDuJour

Eugénie a l’âge des fuites en avant
La ménopause et plus de continence

Eugénie a l’air réfléchi mais mauvaise haleine
Elle lave ses mouchoirs en tissu avec peine

Eugénie se mouche avec fracas et pleure
Ses années folles où elle tutoyait le bonheur

08/02 – On fête les Jacqueline #BioDuJour

Jacqueline est divorcée et isolée
Dans une maison où l’amour est déploré

Jacqueline démêle les mots croisés
de télé7jours en grattant des Dédé

Jacqueline est sourde comme sa peau
Plus caressée depuis des piges d’anxiété

09/02 – On fête les Apolline #BioDuJour

Apolline prend deux L et pas deux P
Combien de fois faudra vous le répéter

Apolline ne lit pas de poésie surréaliste
Ne saisit que goutte à ces élégies d’alcools

Apolline erre sur une île depuis dix ans
Sans pont ni mire à beau jeune homme

10/02 – On fête les Arnaud #BioDuJour

Arnaud a beau faire ce qu’il peut
Il n’arrive pas à ce qu’il veut

Arnaud n’a pas de grâce mais du charme
Sa coquille à l’œil lui fait une belle jambe

Arnaud a quarante ans et des brouettes
De casseroles qui lui gonflent la luette




Véronique, cinquante ans, traîne la nuit dans les bars. De longues nuits où elle cherche l’amour, enfin elle cherche surtout un bel et gentil homme, ce serait déjà pas mal. Qu’il l’aime, elle n'en demande pas autant. Qu'il l’accompagne jusqu’au matin, ce serait déjà bien.
Véronique a longtemps été Henri. Marié à Jacqueline pendant trente ans, il a partagé avec elle une vie d’apparences, une vie de gouttière où chacun jouait au chat sur le fil ténu d’un toit. Jacqueline vit seule désormais, recluse dans un meublé à ruminer ses errances, à se demander comment elle a pu épouser un homme qui est devenu une femme. Elle noircit des grilles de mots croisés ; ça occupe la tête. C’est ce qu’elle dit : ça m’occupe la tête. Quand sa voisine Eugénie frappe à la porte pour prendre des nouvelles, pour partager un cake aux yaourts – Eugénie fait de délicieux cakes aux yaourts. Gaston, son petit-fils en raffole – quand Eugénie veut simplement boire un thé et s’assurer que sa voisine est toujours vivante, Jackie répond, sans ouvrir la porte, que tout va bien, qu’elle fait ses mots croisés, qu’elle n’a envie de voir personne, aujourd’hui…
Aujourd’hui comme tous les jours. Alors, Eugénie baisse la tête, remballe son cake après avoir laissé une tranche sur le pas de la porte enveloppé dans du papier alu. Je t’en laisse une part sur le palier. Tu verras, il est encore meilleur que la dernière fois, j’ai ajouté un zeste de citron, c’est exquis. Un « Merci » traverse la cloison, un « De rien, ma belle » lui fait écho.

Véronique est assise sur un haut tabouret, dos au bar et sirote une Marie Brizard. Elle a mis sa robe fourreau, la noire, celle qui souffle un reflet bleu sur le tissu quand elle bouge. Elle est passée chez le coiffeur en fin d’après-midi pour raccourcir les pointes et faire une couleur. C’est Arnaud, la quarantaine hésitante, qui la coiffe ; un homme pas vraiment beau mais avec une coquille à l’œil qui lui donne du charme. Il y a son regard de travers puis tout le reste : une expression fermée par des maxillaires comprimés, des mains moites qu’il essuie sur ses jambes, une parole pauvre, des gestes mal assurés et un pli de nuit tenace sous la paupière gauche, tout cela trahit une tristesse latente qu’il a du mal à dissimuler. Il passe parfois au Wilk’s bar. Il y trouve Véronique, plantée au comptoir comme un réverbère. Tous les deux s’embrassent comme des vieux amis. Arnaud lui paie une Marie Brizard et prend un scotch avec de l’eau de Seltz. Il ne reste pas longtemps car il sait que Véronique est ici pour trouver un homme et, lui, il ne se sent pas vraiment homme.

Véronique mate toute la soirée des mâles aux couleurs sombres, ondule du bassin sur son siège, plie et déplie ses jambes, pousse une voix de crécelle quand elle parle au barman. Elle s’arrange pour se faire remarquer mais ce soir, ça ne fonctionne pas. Aucun regard, même des plus concupiscents, ne se pose sur elle.
Une heure trente. Elle fait la fermeture du Wilk’s, embrasse le patron en lui laissant un trace de rouge sur les joues. Véronique est sur le trottoir, allume une cigarette, tire sur sa robe pour effacer les fronces de nuit. Elle reste un instant sous l’enseigne du bar qui éclaire de vert son visage et sa moustache où quelques poils rebelles surgissent. Elle songe à Jacqueline en recrachant la fumée dans la nuit soûle, à son enfermement, à sa déception, à sa mélancolie qui perdure. Elle a peur qu’un jour, elle fasse une connerie. Des jeunes gens passent bruyamment dans une voiture, vitres offertes et musique à fond. Elle pense à ses enfants qu’elle ne voie plus. Agathe et Apolline, ces deux filles chéries, qui, un jour de mai, ont perdu leur père. Henri est mort, vive Véronique ! Ce jour-là fut le plus beau de sa vie. Enfin, c’est ce qu’il croyait.

Véronique 04/02




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