De loin en loin

Je vois le père au loin,
Il ressemble à une tache
de soleil dans les yeux. 

Il travaille aux taupinières,
point flou persistant, debout
sous l’orgueil du souvenir. 

Je ferme un temps les yeux
comme on serre les poings,
je te vois, de loin en loin. 
  • 31.5.25

Il parait

Il paraît que les vieux chagrins restent sur nos visages, qu’ils tracent leurs sillons, pore après pore, année après année, jusqu’à devenir les chemins de traverse qu’empruntent nos rides pour nous aider à sourire.

2020
  • 30.5.25

La lumière des autres

Il fait un jour plein de la lumière des autres. 
La lueur des gens heureux que l’on voit au fond des yeux venir manger nos visages ; cette lueur-là aime à se balader sans heurt parmi les autres, dont l’humeur tombe trop souvent comme des paupières lasses. Elle résiste à toutes les épreuves, au mauvais temps qui va et qui se pose sur nos joues mais aussi aux petits abandons qui longent les routes et toutes les tristesses qui les traversent.
Il faut s’attarder près d’elle, en prendre régulièrement des surdoses, s’y exposer longtemps pour recharger les sourires. 
Il fait un jour plein de la lumière des autres.

2019
  • 28.5.25

Hissez haut

Il n'avait pas vu la voile se hisser, se tendre vers le ciel comme pour toucher les nuages. Il lui avait fallu se ronger de l'intérieur, pourfendre l'ennemi qui se logeait entre les noeuds de son ventre pour enfin croire au vent. Puis il y eût la vague et ses caprices, la caresse puis la grêle. Le gros grain qui envahit l'écoutille et la marche maladroite d'un homme contre l'adversité. 
Il n'avait pas vu au loin la marée montante. L'immensité de la mer dans l'étroitesse de sa vie. Submergé, il cherchait au pied du mât les étoiles à jamais perdues.

2017
  • 27.5.25

Midi trente

La nuit a chopé une mélancolie, l'a serrée au cou sans arriver à s'en défaire.
Depuis, la matinée a des allures de marin qui ne rentrera jamais au port.

Heureusement, à midi trente, le voisin a entonné La belle de Cadix.
L'après-midi n'a plus qu'à se faire des yeux de velours.

2017
  • 26.5.25

Le réveil

Encore un peu d’obscurité 
pour terminer l’éternité.

Un décibel monte trop haut,
une porte craque – le réveil. 

Un rêve tire sur les bras,
le jour gonfle les joues. 

Retenir ce qui fuit,
l’histoire incroyable de soi.

2023
  • 23.5.25

Cueillir des ronces

Il fait un jour à cueillir des ronces.
Juste pour le plaisir de l’égratignure. La peau éraflée pour à nouveau se sentir vivre. On pourrait couper à travers bois, piétiner fourrés et bauges avec la crainte d’un sanglier tapi sous les hautes herbes. On serait heureux de sentir nos corps réagir à l’approche d’une clairière. Nos mains en sang mais nos cœurs feux de joie.
Il fait un jour à cueillir des ronces.

2020
  • 22.5.25

On voit

On voit la mer
changer de temps,
changer de rôle. 
On voit s’arrondir nos dos,
souvenir des vagues anciennes
et quand elle perce 
à jour nos complaintes,
on voit rouler 
sur nous toutes les pertes.

2019
  • 20.5.25

Le quai

De l’enfance, je retiens le quai surplombant la rivière. Le saut dans la vie que c’était de se dresser debout sur le muret au bord du vide que l’on appelait Espace, à rester là à boire le corps de l’autre, le corps ami sous un soleil qui rendait prétentieux. Petits corps sans esprit à jouer la vie près du précipice, à relever le défi ultime : cap ou pas cap de plonger puis de nager dans la vase jusqu’au bout de la rivière ?
Le quai qui fait grandir : l’espace d’un instant, y revenir est un vertige.

2020
  • 18.5.25

Question

Chaque matin, se demander de la lumière ou de l’ombre laquelle commence la première, à monter pour l’une, à descendre pour l’autre ; et si ce mouvement premier et les suivants, s’imprimant sur le mur à une vitesse croissante, ont un simple but décoratif ou le dessein plus important de bouleverser le monde.
Je me demande ça, puis très vite n’y pense plus.



  • 18.5.25

Rétractile

Le temps se pose sur le rebord de la fenêtre. Le temps est jaune avec des pépiements d’oiseaux dans les oreilles. Le temps picore des miettes de lui-même, s’étire puis se recroqueville, exercice plus psychique que physique. Le temps se moque des oiseaux, des petits rires que font leurs va-et-vient sous son nez. Les oiseaux se moquent du temps jaune et rétractile comme une griffe. Ont-ils seulement conscience d’une fenêtre, de la couleur jaune, de la durée, du type qui les regarde toujours médusé ?
  • 17.5.25

Désordre

Dehors est en désordre,
une main soulevant le ciel
joue avec les lois du paysage.

Ma géographie devient folle,
je vois sens dessus dessous.
À mes pieds rôdent des nuages
et lasse ma tête rase le bitume. 

Vertige en aplats de couleurs,
dehors est en désordre,
saoul comme un tableau cubiste.
  • 15.5.25

Écosser

Il fait un jour à écosser des haricots.
Midi surplombe la table de la cuisine. Le soleil par la fenêtre tente de se frayer un chemin dans les rideaux. Il faut tirer le mauvais, clic et clic dans le silence. Quelques insectes se prennent dans le papier tue-mouches. Maman et moi à regarder plus haut que de nos yeux. À s’échanger des paroles molles sur le tapis de cosses. Compter les bouts de nos vies dont on n’a jamais rien dit. 
Il fait un jour à écosser des haricots.

2020
  • 14.5.25

Les osselets

Il y a la brume soulevée par le matin,
la voix suspendue au premier cri.
L’enfant s’ébroue et la roue tourne,
à chaque cran la nuit glisse. 

Derrière la fenêtre je compte
les osselets dans la cour de récré 
pour à mes yeux dissiper la brume
et ramasser le regard qui tombe.

2022
  • 13.5.25

Ce qu’elle veut de moi

Par la fenêtre les bruits de la ville
passent au tamis de mes oreilles.

Ici dans le lit où je sommeille, je tiens
dans ma gorge le cri des oiseaux. 

La rumeur des moteurs, le son épais
des roues viennent comme un baume. 

J’entends, et c’est étrange, la légèreté
d’un nuage faire ce qu’elle veut de moi. 
  • 11.5.25

Le compte

À l’arrêt de tram, deux jeunes gens sur un banc. Un, deux, trois puis vite cinq, six… j’en perds le compte. Le compte de ces baisers légers par saccades échangés comme deux oiseaux picorent leur mie de pain. Petits coups de bouche, petit air frais avant que le tram, ce rapace, ne les fasse disparaître. 

2019
  • 10.5.25

Tasseau

Rien ne pose sur le sol un pied sûr ; 
les idées trottent en elles-mêmes. 

Le ciel bas de plafond cherche
quelque esprit dans un œil vide. 

Trouver un sens dans la mêlée
de ses nuages tient de l’épopée. 

Il faudra bricoler un tasseau
pour fixer le point du jour

— ou se laisser aller.
  • 9.5.25

Nuage de lait

Une parole s’éteint sous la lampe,
plus aucun mot pour dire l’ombre.

La soif abonde sous tes lèvres
mais personne pour la diluer.

Pas même ce nuage de lait
qui cherche sa tasse de thé.

2018
  • 4.5.25

Croire

L’histoire dénoue une boucle
dans le buisson de tes cheveux.

Un herbier entre les pages
raconte la fronde des amours.

Le reste est taillé dans le réel
auquel on a cessé de croire.

2018
  • 3.5.25

Lumière !

Voilà la lumière qui se déguise 
sous le vol des oiseaux. 

De fines lames, éclats coupés
de leurs ailes, arrivent aux choses. 

Par moments le coin de la table,
l’ovale d’un vase, s’en trouvent aiguisés. 

Lumière ! Pointe d’acier ou d’or,
tout part du seul regard. 
  • 2.5.25

Ce qu’il te plait

Si on regardait les jours
défiler sous les arbres,

s’abriter des ombres 
que les branches agitent,

ce serait rendre 
nos vies plus rassurantes,

débarrassées de tous
les soleils qui aveuglent,

ici au calme précieux 
de l’ondulation du temps.

2019
  • 1.5.25