Accords

Les quelques accords à la guitare sèche que tente de réaliser mon voisin vont bien avec l’humeur du matin. Les cordes résonnent dans la rue ; à s’y pencher, on pourrait croire la mélodie issue des gros fils électriques qui la traversent. 
Le son est grave et le dandinement des fils, synchronisé et entretenu par un petit vent sans prétention, fait presque oublier les fausses notes. Si je devais intituler ce moment, j’opterais pour Gamme électrique sur matin sec.
  • 16.3.24

Noir

Le couloir sent le salpêtre et le noir qui monte sur les murs de l’escalier n’a rien à envier à la migraine du vieux monsieur. Son front parle et perle. On peut y écouter une mémoire ancienne, à chaque froncement son histoire. Millefeuille de noir et de poussières. 
Bonsoir, vieux monsieur, ne faudrait-il pas repeindre la cage d’escalier ? Qu’en dit ce noir sous vos yeux ?
  • 14.3.24

Courbé

Le vieux monsieur est courbé. Il regarde ses pieds. Ne peut lever la tête plus haut que mon torse. Nos discussions sur le palier sont courtes. Me parler sans pouvoir croiser mon regard l’accable. M’adresser à la pointe d’un crâne me gêne. 
Le vieux monsieur est courbé. Marmonne sur ses chaussures. Inintelligible vieillesse. J’acquiesce ou hoche la tête, demande si tout va bien ou parle du temps qu’il fait. Je me baisse, cherche sous ses cheveux blancs une lueur, le salue. Il me salue. J’entrevois alors dans ses yeux la couleur rieuse du désespoir.
  • 9.3.24

Un sourire dans la rue

On attrape un sourire dans la rue. Un œil roule et un peu de joie se relève. Contact et passe. On garde le sourire pour soi. De loin en loin, on sait l’automne sous les paupières, la suée des montées, la courbure maligne des lèvres. Si la mémoire ne piège pas le chemin, on l’aura ajouté à la collection des vieux sourires, pour qui voudra les saisir.
  • 6.3.24

Petits pas

Petits pas dans l’escalier. Toux sur le palier. Silence. À nouveau les pas, glissés, pesés. Pas d’attaque aux talons. Des pas de chaussures légères, à semelles molles. La descente bien que lente reste souple et régulière. La toux s’emballe, les pieds glissent. L’homme piétine devant ma porte. Raclement de gorge, reprise du corps. La toux glisse, les pieds s’emballent. Petits pas, les marches dans l’escalier s’éloignent. Il les prend avec lui. Cahots et gorge, prudence et équilibre, tout à sa tête. Le vieux monsieur du deuxième est sorti.
  • 2.3.24

Dans ce vide

La fenêtre est entrebâillée. Dans ce vide, tu passes comme un courant d’air. Lèves les bras, creuses le ventre, un temps ta respiration coupée. Te voilà dehors, tu ventiles, parais de la même consistance que le ciel et la terre. Tes pensées sont des ressorts dans les nuages. Ton corps est absent. Seule ta tête, tête là en premier, partout, s’étale nébuleuse à regarder le trottoir, l’incongruité du trottoir. Ça suinte et grince en bas. Tu n’y es plus. Tu serais léger comme la mort si tu connaissais son poids. La fenêtre claque. Tu sursautes, mal à dos, étau et masse, les pieds pris dans le rêve.
  • 20.2.24

Le bel ennui

Il vient, le bel ennui. Ce genre d’ennui qui fait lever le nez et qui, le reste du temps, sur le dos forme comme une bosse. Vient, revient heureux avec son lot de contemplations, sa part de rêve et de ciel. Ça travaille là-dedans. Depuis le dos, se redresse dans la tête. L’ennui léger, de belle facture. La bulle ! Malgré la bosse, malgré le trop plein qu’il laisse quand il repart.
  • 14.2.24

Tu ne reconnais plus les jours

Tu ne reconnais plus les jours. Dimanche avec mercredi disent bonjour à hier, ce jeudi ensoleillé. Tu ne reconnais plus les heures. Elle ne sont que des pages non numérotées entre deux froissements de la mémoire. Blanc. 
Tu ne reconnais plus, ni les jours ni les heures. Vingt-cinq heures du soir de la veille. Quand on te demande, tu plaisantes pour détourner l’attention. Comme un enfant qui apprend à compter.
  • 10.2.24

Avec des caprices d’enfants

Tu marches avec des caprices d’enfants. L’un, derrière toi, frotte ses pieds sur le pavé, pour un peu s’y jetterait. Sa mère le tire par le bras, remonte ses genoux, frotte le pantalon, soupire. L’autre, devant, accélère puis ralentit, son père gronde. Tu évites l’enfant pour ne pas le renverser ; il te regarde sans rien dire, secoue la tête avec une frénésie que tu te surprends à envier. Le père lance vers toi un sourire d’excuses. Le premier te dépasse suivi de la mère au trot, rattrape le second, prend sa main et tous les deux se mettent à courir en criant d’un même entrain. 
Tu t’arrêtes, les caprices s’éloignent, avec eux un creux dans ton ventre. Ils te laissent avec une envie de crier et de rouler par terre mais tu n’en fais rien. Tu souris sans joie en dodelinant de la tête.
  • 4.2.24

Vous vous aimez

Tu ne sais pas ce qui te retient au fauteuil. Tu penses à la fatigue et elle pense à toi. Au fond, vous vous aimez. 
Le livre se termine, la page de fin se déplie comme une main sur l’accoudoir pour te hisser. Te lever avant la chute n’aurait pas de sens. Si le sens a encore du sens. 
Tu vois ton corps s’affaisser à mesure que glisse le livre. S’il tombe, tu tombes.
  • 31.1.24

Une trace dans l’air deplacé

Tu avances dans la ville. Derrière toi, tu laisses une trace dans l’air déplacé. Une odeur, un son, un reflet, une onde. Ta silhouette réduite à quelques gouttelettes, elles-mêmes réduites à une poignée d’atomes, lesquels s’évanouissent. Les autres prennent ça dans la figure. Courant d’une vapeur, bruit parmi les bruits, rien, tout juste un éclat dans leurs pupilles. Ils traversent un passé qui ne sera jamais souvenir. Un chien pourtant semble y renifler quelque chose. Ton passage, l’acre de ton corps, un dépôt que lui seul décèle. Quelque chose qui revient ou plutôt, ne lui revient pas. Il aboie.
  • 28.1.24

De larges bandes

La matinée a de larges bandes pour s’étaler. Elle en profite, abrutie dans son reste de nuit. Tu l’accompagnes, ensommeillé, comptant les heures sans substances. Une fenêtre, un soupir, une fenêtre, un soupir…
Personne ne le voit mais dans ton absence de gestes, tu enroules ses larges bandes autour de toi, pour t’en faire un costume de matinée. Tu jouerais presque à l’aristocrate mais tu as froid.
  • 26.1.24

À sang froid

Tu es un animal à sang froid. Serpent sans sonnette, dans ton corps l’humeur d’un fauve. Voilà, tu es un serpent à tête de lion, tsss du venin plein les crocs. 
Il aura fallu épuiser le rêve, retourner la crinière puis activer la sonnette pour enfin te réveiller. Tsss, tu es un animal qui rêve encore, tu en tires une certaine réassurance. La nuit peut continuer à parler.
  • 23.1.24

Au fond du sac

Tu fouilles dans le fond de ton sac, en sors poussières et épluchures de vie. Tu t’arrêtes et comptes le temps qui sépare deux vieux tickets de caisse.
Tant de jours dans un sac, d’heures tombées dans l’oubli. Tant, que cela paraît irréel. Tu froisses le premier ticket, fais du papier fin une petite boule qui roule entre tes doigts. 
Le soir descend faire sa soupe. Tu avises le second ticket, la date et l’heure, tu le lisses longuement sur la table. Un soupir devrait te prendre mais tu le retiens.
  • 18.1.24

Mine

Tu dis qu’enfant, on ne t’avait pas vendu ce futur. Tu tailles un crayon et tu penses à la mine et à sa polysémie. T’en tires une mine ! Assis là, à la table de lecture, en train de faire coïncider souvenirs et advenus. 
Tu sais bien qu’il y a plus malheureux que toi, t’es pas à la mine ! Tu souris, reposes le crayon, souffles sur les rognures de bois. Elles retombent lentement, bien où elles veulent, déjà tout à leur futur.
  • 13.1.24

Tu entends le vent secouer la vitre

Tu entends le vent secouer la vitre. La fenêtre de son vieux bois craque.
L’hiver étale sa petite mélancolie. Il suffirait de souffler, entre deux pages lever la tête pour écouter ce qu’ont à dire le bois, la vitre et le vent.
Tu pourrais sortir du livre, rendre le jour moins gris, en tirer un poème, un cri de vent et de bois.  
Mais, tu entends le vent secouer la vitre. Rien que l’écho du vide dans le chambranle. Du vent sur une vitre. Du bois qui meurt. À quoi bon.
  • 7.1.24

Oh rien de sanglant

La nuit a sorti son couteau à lame froide. Sur la joue, tu la sens se pointer avec sa musique de mauvais téléfilm. Un pas n’attrapera pas l’autre, tu te dis : tant qu’il y a équilibre !
Tu traines avec cette odeur de viande hachée. La lame en suspension, un coupe-gorge au coin de la rue. Oh rien de sanglant ! Juste un petit poids sur ta carne.
  • 3.1.24

Lectures 2023

LECTURES 2023 : je ne sais pas trop à quoi sert ce genre de liste mais puisque je l’ai faite, la voici :

JANVIER
▪️ Jacques Roubaud, Quelque chose noir
▪️ Jean-Baptiste Pedini, Suivre l’océan 
▪️ Louis-René des Forêts, les Mégères de la mer
▪️ Mila Tisserant, Contre-fugue
▪️ Henri Michaux, Façon d’endormi, façons d’éveillé 
▪️ Henri Michaux, Voyage en grande Garabagne 
▪️ Herman Melville, Bartleby
▪️ Jean-Claude Pirotte, Plein emploi
▪️ Damages, Christian Viguié
▪️ Guillevic, Art poétique 

FÉVRIER 
▪️ Michele Desbordes, le commandement
▪️ Milène Tournier, Ce que m’a soufflé la vie 
▪️ Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal
▪️ Nada Issa, -mnésie 
▪️ Antoine Emaz, Caisse claire
▪️ Michel Bourçon, Mélancolie des confins
▪️ William Cliff, America 
▪️ Jean-François Mathé, Chemin qui me suit 

MARS 
▪️ Sabine Huynh, Elvis à la radio
▪️ Cesare Pavese, Travailler fatigue La mort viendra et elle aura tes yeux 
▪️ Guy Goffette, Paris à ma porte 
▪️ Michele Desbordes, le commandement 
▪️ Herman Hesse, Demian
▪️ Léa Nagy, Le chaos du spectacle
▪️ Michaël Glück, Tournant le dos
▪️ Michaël Glück, Mensch
▪️ Laurence Vielle, billets d’où

AVRIL
▪️ Cormac Mc Carthy, La route
▪️ Anne Sexton (Sabine Huynh), Transformations
▪️ Marie-Philippe Joncheray, J’avance dans votre labyrinthe
▪️ Charlotte Mont-Reynaud, Naître encore
▪️ Charles Bukowski, Contes de la folie ordinaire
▪️ Christian Viguié, Ballade du vent et du roseau
▪️ Serge Prioul, Parler au monde
▪️ Pierre Autin-Grenier, Les radis bleus

MAI
▪️ Samuel Beckett, Molloy
▪️ Séverine Chevalier, Chronique judiciaire
▪️ Guy Goffette, Geronimo a mal au dos,
▪️ Claire Massart, Récif ou la peau de l’eau
▪️ Samuel Beckett, Malone meurt
▪️ Pierre Michon, Les deux Beune
▪️ Samuel Beckett, L’innommable 
▪️ Samuel Beckett, En attendant Godot
▪️ Samuel Beckett, Fin de partie 

JUIN
▪️ Samuel Beckett, Oh les beaux jours
▪️ Richard Brautigan, La Pêche à la truite en Amérique 
▪️ Richard Brautigan, Sucre de pastèque 
▪️ Christian Viguié, Nature morte avec page planche, ombre et corbeaux 
▪️ Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
▪️ Philippe Annocque, Rien (qu’une affaire de regard)
▪️ Alexandre Labruffe, Chroniques d’une station-service 
▪️ Richard Brautigan, C’est tout ce que j’ai à déclarer

JUILLET 
▪️ Samuel Beckett, Murphy
▪️ Antoine Emaz, Erre
▪️ Stéphane Bernard, Sole povero
▪️ Jose-Luis Borges, Le livre de sable
▪️ Stéphane Bernard, Combattant varié
▪️ Emmanuel Echivard, Avec l’ombre 

AOÛT 
▪️ Herman Melville, Moby Dick
▪️ Samuel Beckett, Watt
▪️ Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu, suivi de L’instinct de ciel
▪️ Samy Langeraert, Les deux dormeurs
▪️ Guillaume Siaudeau, Lundi mon amour
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit 1/2

SEPTEMBRE 
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit 2/2
▪️ Samuel Beckett, Mercier et Camier
▪️ Maxence Amiel, Par la fenêtre tardive
▪️ Luis Sepúlveda, L’ombre de ce que nous avons été
▪️ Laurent Mauvignier, Autour du monde
▪️ Dominique Fabre, Une enfance

OCTOBRE
▪️ Samuel Beckett, Nouvelles et Textes pour rien
▪️ Cathy Jurado, Intérieur nuit
▪️ Pascal Guignard, Villa Amalia
▪️ Samuel Beckett, Le Dépeupleur
▪️ Samuel Beckett, La Bande suivi de Cendres
▪️ Caroline Diaz, Comanche
▪️ Samuel Beckett, Premier amour
▪️ Eugène Savitzkaya, Fraudeur
▪️ Eugène Savitzkaya, Marin mon cœur
▪️ La folie du jour, Maurice Blanchot

NOVEMBRE
▪️ Laurent Margantin, Le Chenil
▪️ Pierre GONDRAN dit REMOUX, Les arbres indéfendables
▪️ Jean Echenoz, Ravel
▪️ Samuel Beckett, Bande et sarabandes
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit (1/2)
▪️ Pierre GONDRAN dit REMOUX, Réa
▪️ Samuel Beckett, Compagnie
▪️ Samuel Beckett, TÊTES-MORTES 
▪️ Samuel Beckett, L’image

DECEMBRE
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit (2/2)
▪️ Dominique Boudou, mes pas sont mes vers
▪️ Eugène Savitzkaya, Fou de Paris
▪️ Georges Perec, W ou le souvenir de l’enfance
▪️ Jean-Christophe Belleveaux, Les lointains
▪️ Michel Bourçon, Matins de ciel et d’oiseaux
▪️ Pierre Bergounioux / Anaïs Tondeur, Steraspis speciosa / textes Voir l’abeille, le trèfle / photographies 
▪️ Samuel Beckett, Mal vu mal dit
▪️ Samuel Beckett, Pas suivi de Fragments de théâtre I et II, Pochade radiophonique - Esquisse radiophonique
▪️ Sabine Péglion, Cet au-delà de l’ombre
  • 30.12.23

Plus rien

Tu dis que plus rien ne vaut la peine. Que les dates sont dépassées. Tu ne sais pas très bien quand cela a commencé ni cela a réellement commencé ou bien a toujours existé. Qu’est-ce qui est dépassé ? Par qui ? Par quoi ? Pourquoi ? Est-ce le début ou la fin du grand questionnement ?
Va savoir. Tu dis que personne ne sait. Qu’il faudrait aller savoir si on avait un peu plus de courage. Mais par où savoir ? Quel chemin, quel sens à donner ou prendre ?
Puis tout à coup, un chocolat praliné à la noisette avec un café noir bien serré.
  • 27.12.23

Tu dis qu’écrire

Tu dis qu’écrire, c’est déjà être dans l’absence. Ton regard fixe un bout de mur. Tes yeux sont deux cailloux sur un lac qui par ricochets s’éloignent. Plus de corps, juste quelques mots flottant sur l’eau. Tu dis qu’écrire est un masque derrière lequel s’inventer : c’est là, la vraie disparition. Ton regard plonge et tu tombes de très haut sur le lac devenu mur.
  • 17.12.23

Pensées joueuses

Tu rentres et rassembles les restes de la journée en fixant le trottoir. Tes pensées joueuses sautent d’une sphère à l’autre, le peu côtoie le trop. Tu roules mentalement une cigarette, l’odeur de tabac sort de terre comme une invite. Le manque côtoie l’eau trouble qui court dans la rigole. Tu souris pour toi, une pensée plus drôle qu’une autre t’aura rattrapé avant la nuit.
  • 13.12.23

Les heures sont élastiques

Les heures sont élastiques. Chacun prend la sienne et la tend ; certains mollement, d’autres au maximum. Tu entends claquer ici une heure, là-bas tu en vois une autre dégouliner d’une fenêtre. 
Tu n’as plus d’heures. Tu te sens si vieux, le temps a filé loin sans toi. Clac. Disparu. Tu portes sur le visage la blessure des heures, à l’esprit le souvenir de l’élastique bandé. Les heures élastiques sont mortes.
  • 9.12.23

Personne ne viendra éteindre

Personne ne viendra éteindre le jour. Il le fait tout seul. Tu te dis ça comme si tu étais maître des réverbères. Un instant, ton esprit a cru, blotti sous les paupières, qu’il suffisait de cligner pour qu’ils s’allument un à un, les réverbères, ces petits témoins du jour qui s’éteint. Personne n’éteint ni ne rallume. Tu te dis ça dans le cliquetis qui précède le vrombissement de la flamme dans la chaudière.
  • 6.12.23

Il t’arrive de penser

Il t’arrive de penser que tu fais partie des murs, du sol, des meubles, élément parmi les autres éléments du théâtre de la maison ; partie des choses, des plus indispensables aux plus futiles, descendant ainsi l’échelle de l’utile à l’inutile jusqu’au plus con : toi. 
Et puis, d’autres jours, non, tu te sens libre, capable de regarder par la fenêtre et de plonger dedans, dans le ciel derrière, dans le grand tout. Un regain d’importance qui te ferait presque voler. Sans corps, juste avec l’esprit. 
Oui, il t’arrive de penser mais pas souvent.
  • 2.12.23

Goutte à goutte

Tu regardes descendre le soir, goutte à goutte, dans l’assiette sale du jour. Rien ne s’oppose à la rêverie sinon ce chat miaulant vers quelques poussières, les pattes maladroites et le poil mal salivé. 
Tu ne regardes rien, en somme. Qui voit ce chat se perd dans son propre trou. Et tu te perds. Entre les gouttes qui ne sont même pas de vraies gouttes. Que du mou à donner au chat.
  • 29.11.23

Bruit intérieur

Tu as choisi un bruit intérieur parmi ceux proposés. Des hauts, des bas, des murmurés, des emmurés, des criés, des parfaits, des d’utilité dénués. 
Ils se sont présentés à toi au fil du temps, tous bruitant durant de longues années. Dans la cacophonie, tu les a jaugés, pesés, malaxés, regardés, chassés puis repris, à nouveau évacués puis gardés en creux.
Tu as appris à les apprivoiser — le bien le mal tout ça tout ça ! — pour finalement n’en garder qu’un, une note continue dans ta tête, une ligne de base basse, acouphène de tes amours.
  • 25.11.23

Sur l’épaule

Dans le mouvement, tu es cette caméra sur l’épaule du rêve. 
La nuit défait le décor. Derrière toi, disparaissent tes pas. Les ombres finissent comme des cris au fond d’un puits. Ton corps tombe dans le vide. Tu crois que tout est fini mais tu remontes à hauteur d’épaule sans savoir qui du rêve ou de la folie te porte. Le sommeil déroule un scénario sans ossature. Long métrage sans fin. Tu tournes, dévisses, déboites d’un côté de l’autre, chaloupe sur une mer démontée.
Dans le mouvement, tu es cet œil que rien ne fatigue.
  • 19.11.23

La gelée de coing

Tu cherches le trou du souvenir où te glisser. Pas la Madeleine mais l’intérieur de la madeleine. Une cocon moelleux dans le milieu. Voilà, fais ton trou, va chercher dans le dedans du dedans, dans le gras du dedans. 
Tu ouvres un pot de gelée de coing. C’est par ici le trou, c’est par ici le souvenir !
La cuillère pénètre dans la gelée mais pas facilement, ça résiste. C’est bien connu, le coing résiste, le coing n’est pas un fruit facile, c’est mieux quand ça résiste. Et le coing n’est pas un joli fruit, il n’a pas l’élégance d’une fraise née pour glisser entre les lèvres. Il est fait de coups, n’a pas de forme, est tout biscornu, malingre. C’est mieux quand ce n’est pas tout à fait joli, ça ramène son lot de cabosses tendres.
C’est parfait, reste dans le coing, plante la cuillère dans la gelée. Fais-y ton trou pour retrouver le souvenir doux.
  • 15.11.23

Les premiers pas

Les premiers pas et déjà le ciel secoue la nuit.  Quelque part, des bras s’ouvrent pour accueillir et calmer les vertiges, quelqu’un sourit sur une épaule.
Tu dors encore, malgré la marche. Le corps répond avant l’esprit, avant d’apercevoir le temps et l’espace.
Tes premiers gestes sont des restes d’une trop longue attente, des tremblements que la nuit aspire.
  • 13.11.23

La question

Tourner autour de la question ne suffisait pas. Elle s’était repliée. Plus rien ne parlait en elle. Je ne l’apercevais qu’à travers la serrure de la mémoire : un morceau découpé dans les pensées, un pied dans l’ouverture d’une porte, un nez pour sentir la vague arriver, une main posée sur la bouche. 
Elle était devenue une vieille rengaine sans jus, une personnification idiote. Elle avait peur de son narrateur, fuyait les reformulations en faisant les gros yeux, invoquait les cauchemars d’enfant pour se défiler. Elle se censurait.
La question disait être devenue forte et adulte, donc caduque. Je n’y croyais pas.
  • 5.11.23

La nuit joue des coudes

La nuit joue des coudes entre les heures 
J’entends par nuit les pensées mauves 
Qui traversent un instant la fenêtre 
Quand trop fixement on la regarde 
Ce temps absent propre à quelque rêve 
Dont on ne sait par quel bout prendre 
Les dérives les hauts les bas le roulis 
Que ça fait quand la nuit joue des coudes
  • 1.11.23

La question

La lumière lécha un jour la tapisserie ornée de grosses fleurs et dans son reflet se posa la question. Dans la lueur, elle variait, tournoyait, pollinisait et finit par s’installer. 
La question naquit ici, dans la chambre de l’enfant. Elle y grandit taraudant les fleurs comme l’esprit.
Bien plus tard, je revins dans la maison aux fleurs fanées, berceau de la question, tournant autour comme le fit autrefois la lumière. Depuis, je suis ce derviche sans repos.
  • 29.10.23

La question

La question ne se posait plus. Mais elle rôdait dans les contreforts de la mémoire, ressemblait à une vieille bêtise d’enfance dont on aurait oublié l’importance et qui revenait de temps à autre sous forme de souvenirs. De bons ou mauvais souvenirs ? C’est bien cette réponse que la question ne portait plus. 
En attendant, elle était devenue cette chaussette sale oubliée sous un meuble. Il y a bien un moment où il faudra pousser le meuble et la découvrir.
  • 26.10.23

La question

Il se posa la question à six heures du matin et, étrangement, n’obtint pas la même réponse que la veille dans l’après-midi. Il se posa la question à minuit, à midi, les réponses étaient encore différentes. Les réponses semblaient vivre de façon autonome, sans la question. À côté, très proches, mais sans tenir compte du propos initial. C’était comme demander l’heure et répondre qu’elle était ronde ou s’enquérir de la santé d’une personne et s’entendre dire qu’elle était blonde. 
Il finit par ne plus se poser la question.
  • 24.10.23

L’hiver sera long

Elle lui dit qu’elle ne va pas passer l’hiver là, à tourner en rond. Que c’en est trop, ça suffit, basta !
S’ensuit une longue attente, le téléphone collé à l’oreille, bouée à laquelle elle s’accroche. Elle écoute son correspondant longuement essayer de la calmer. 
Hiver. Pas ici. Non. Trop. 
Elle place des mots du bout des lèvres, des débuts de colère pour l’entrecouper qui tombent de sa bouche en pure perte. Le téléphone sur sa joue est une île, un coquillage seul sur cette île ou une poignée qui n’ouvre plus rien. Elle raccroche. 
L’hiver sera long sur le balcon.
  • 21.10.23

Qu’est-ce qu’on en parle

À bien regarder son œil en spirale 
La fenêtre s’en va seule profonde
Découvrir les dessus et dessous du ciel
On ne sait rien des lignes qui fuient
Des plis replis contournements et garde-fous
Pas plus le chemin que la finalité
Nos regards plongent en elle en lui en quoi ?
On ne sait rien mais qu’est-ce qu’on en parle
  • 18.10.23

Ça glousse dans les allées

Ça glousse dans les allées. Les voix se mélangent, se sautent dessus mais lentement. À la faveur des bruits, à l’octave près, on se constitue des paroles. Les mots vont avec les gestes. L’ouverture du portail automatique allume son gyrophare, puis les chaînes cliquètent comme s’il s’agissait d’un pont-levis. Les clés de la voiture sont sonores, elles aussi. Deux alertes rapprochées, bip, bip et un éclair entre les voix porte haut dans la brume du soir. Portail, télécommande de clés, autant de sons quotidiens, formules et babils naissent et disparaissent. Grave et sombre, c’est la bascule dans les allées. La nuit gagne et écoute.
  • 16.10.23

Devant derrière

Le jour a pris le premier pull qui venait. Là au pied du lit, sans réfléchir. L’a mis à l’envers, devant derrière si bien qu’il a le col dans le dos, l’étiquette visible sur la nuque. 
Ça donne un ciel ébouriffé avec des joues creuses, sans allure et avec des poils de nuit dans les yeux. Rien qui ne donne envie de l’embrasser. Voilà un jour né d’une couleur mal réveillée, d’un mauvais pastel. Pas même gris. Grège, mélange de malgré et de fausse neige. Je vais me recoucher.
  • 14.10.23

Je vois le rouge

Je vois le rouge sur le toit qui monte, rampe entre les tuiles. Le ciel tient une lampe, m’impose un silence dans le brouhaha du soir. Tient une lampe sur les rires de deux enfants sortant d’une voiture, têtes et pieds en avant dans le même désordre, deux boules de feu dont l’énergie déborde de la rue. 
Je vois le rouge sur le toit qui monte avec la grâce des heures d’automne lorsque le soleil pour son coucher, descend lentement,  descend sur les enfants encore en chahut comme pour les border.
  • 7.10.23

Compassée ou concupiscente

Est-ce que j’ai rêvé, ce regard 
Levé sur le lointain de mon front 
Ces battements de paupières 
Qui ont épelé « gêne » quelque part 
Entre mes sourcils relevés 
Ou me suis-je imaginé une œillade
Plus compassée que concupiscente ?
Tant pis la passante est partie, tant pis
  • 25.9.23

Pépouze

Là à brosser les habitudes dans le sens du poil 
Qu’un chien passe, aboie, avec ce qu’il faut de retenue 
Pour ne pas dire qu’il hurle, que non la mort n’est pas pour aujourd’hui 
Qu’il est ici, pépouze, entre un pipi sur le réverbère 
Et le jappement qui vient juste après, lui aussi 
En train de brosser les poils de l’habitude
  • 23.9.23

Les vieux voisins

Par la fenêtre bien serrée, les vieux voisins regardent passer les gens de la rue. Les va-et-vient font leur monde à travers la vitre, sans bruits. Un cinéma muet, de quoi parler plutôt que rêvasser au plafond, craintifs des taches noires où s’arriment les fantômes du vieux lustre. Plutôt que de se regarder, voir dans leurs yeux la lumière passée et le silence redoutable de leurs pensées.
  • 22.9.23

La pente du toit

La pente du toit de la maison voisine me parle de l’ennui, des heures qui se chevauchent, tête-bêche jusqu’à en crever. L’histoire est mince, l’intrigue rebattue.  
Les tuiles, l’une sur l’autre en conciliabule, se gardent bien de développer. Elles sont là, efficientes contre les pluies, les soleils, les froids, les chauds, savent combien l’ennui germe sous le vert-de-gris, mais se taisent. 
La pente du toit, elle, bavarde, lance des idées brouillonnes, griffonne des soliloques fiévreux pour finalement rien n’en sortir. À quoi bon faire sens, me dit-elle, glisse… Pente de pluie, de soleil, de neige, continue à faire de l’ennui. Glisse et n’essaie pas de t’accrocher.
  • 16.9.23

Elle est chez elle

La nuit prend ses quartiers. Elle est chez elle, grignote les secondes puis les minutes, bientôt les heures et chaque jour qui passe, elle en veut encore plus. Cette vorace ! Le temps d’écrire ces lignes, elle a déjà mangé le dernier étage de l’immeuble d’en face.
C’en est fini des nouveaux rideaux jaunes de la fenêtre du milieu, disparus d’un battement de cils. Terminé le reflet mauve qu’animait le dernier rayon de soleil sur la vitre au-dessus du réverbère ; réverbère qui la laisse venir à lui, la nuit, avec ses grands airs de duchesse, avant de s’affoler de la loupiote comme pour la saluer. 
Et c’est déjà le second étage qui est consommé, puis le premier sur lequel elle tombe sans vergogne, mais plus lentement, en atterrissage doux. La nuit, dans sa majesté, nous accorde un dégradé de lumières et d’ombres pour enfin tout à fait recouvrir la femme au balcon fumant sa dernière cigarette.
  • 13.9.23

Pourquoi ?

Là dans le square à chercher pourquoi ces sales pigeons ont toujours faim, à me demander pourquoi les enfants au bout de la dixième glissade de toboggan crient encore et toujours leur surprise ; dans le square avec une envie soudaine de meurtre et la réfrénant me demander pourquoi n’a-t-on pas gardé des cabines téléphoniques, même vides, pour que les gens qui souhaitent parler fort à leur smartphone s’enferment dedans et ainsi évitent des assassinats trop trop bêtes, pourquoi ? À glisser une main dans mes cheveux et penser : pourquoi la calvitie précoce de ce trentenaire face à moi me rend triste ? Enfin mais pourquoi les deux jeunes femmes à la terrasse du café près du square, ensommeillées devant leurs cappucinos, regardent-elles les gens du square avec un tel dédain ? Pourquoi me regardent-elles ? Là dans le square. Pourquoi.
  • 10.9.23

La ville étire ses bras

La ville étire ses bras, fabrique avec les petits bruits éparpillés dans le ciel une mosaïque qu’elle colle sur les murs et dans les oreilles. Oiseaux, moteurs, bruits de pas et de roues de vélos. Cliquetis et voix d’enfants, murmures et sifflets, toux d’hommes et feulement de chats. 
La ville se réveille et compose avec ce qu’elle entend mais aussi respire, voit, boit, mange ; elle peint une grande fresque qui fera un joli jour à qui sait regarder et élargir les angles. Sans fatigue, tous les jours, elle déplie sa table d’artisan qui aime le travail bien fait et recommencé.
  • 9.9.23

La journée a de beaux yeux

La journée a de beaux yeux, un peu plissés, en amandes comme on dit ou alors en tout autre fruit sec. Des yeux secs avec un lueur mauve à l’intérieur, étrangement mauve pour la saison.
La journée a de qui tenir. De qui ? On ne sait pas. D’hier ou de demain. Allez savoir. Oui, allons savoir quel goût elle a, cette journée, cette couleur mauve, ces yeux plissés. Allons voir ce qu’il adviendra de ces sensations qui parcourent les yeux de la journée qui décidément sont bien tordues, bien étranges pour la saison.
  • 7.9.23

La nuit, cette affolante

Encore trop tôt pour y voir, la nuit tâtonne dans le couloir. À vouloir chercher des noises au dernier rêve, elle serre ses mains sur le mur des pensées. Presse si fort qu’entre les tempes circulent les cymbales des jours de foire, la fête en moins et le défilé d’ombres. La nuit, cette affolante. 
Un verre sur la table de chevet. Son eau tremble, chaque mouvement est une perte, circulaire, du bord au centre, au son des cymbales, au tambour des tempes. L’eau, le sang, les os, le corps. La nuit tâtonne, se cogne à trop de discours. Elle ne sait rien dire que des signes mal dégrossis. La nuit, cette affolante.
  • 4.9.23

Rien

Un crocodile doit bien bâiller quelque part, un orang-outan s’étirer entre deux arbres, une mouche éternuer en se réveillant, une libellule roter après son petit-déjeuner, un moustique désespérer devant une peau couverte de la tête aux pieds, un coléoptère doit bien cligner des yeux sous le soleil, une petite antilope courir dans une herbe gelée de rosée, un rhinocéros se limer les cornes contre un tronc flottant, un lion rugir de solitude dans la savane… Et j’en passe. Tandis qu’ici je ne fais rien, mais alors vraiment rien.
  • 30.8.23

Des fois que

J’écoute à la fenêtre tomber la pluie, petites lignes qui s’étirent avec plus ou moins d’élégance. Elle part, revient. Je sais que je ne peux rien en retenir. De sa rectitude béate, de sa fraîcheur, de son odeur un peu aigre, je me repais. Et quand je dis qu’elle manque d’élégance, ce n’est que pour la pousser un peu plus loin ; qu’elle vienne, vexée, parler à ce qui pleut en moi. Des fois que l’on se comprenne.
  • 27.8.23

fut-il.net