Il faudrait baisser les yeux du jour

Les écrans renvoient trop de lumière bleue. 

Il faudrait baisser les yeux du jour. 

Les néons du ciel n’y sont pour rien si nos têtes grésillent. 

Les fenêtres sont autant de trous pour s’échapper - trappes à fous. 

15h32 #AuBureau
  • 30.7.20

L’instant imprévisible

La vie tourne en frôlements 
près d’un ventilateur fatigué. 

On entend les bruits quotidiens
comme assourdis par la chaleur. 

Des idées traînent leur vacuité 
dans la torpeur de l’été.

On pense que plus rien ne viendra 
troubler l’épuisement des heures. 

lorsque un air de piano s’échappe d’une fenêtre
et pique une onde de fraîcheur sur nos peaux. 

L’instant était imprévisible comme l’est un frisson.
  • 26.7.20

Une drôle de robe

Une jeune fille dans la rue
porte une drôle de robe. 

Une robe à gros motifs à fleurs
sur une maille sombre. 

Une robe de sourires
qui cachent une mine sévère. 

Elle penche à droite puis
à gauche comme un métronome 

pour laisser filer les chagrins
cachés sous les grosses fleurs.
  • 24.7.20

Drapeau blanc

La fenêtre est ton paysage. Tu regardes les montagnes au loin coiffer les immeubles. Des cimes descend le noir que tu bois par petites gorgées. Un café fumant pour faire monter le jour en toi. De la vue, malgré le ballet des saisons, rien ne change. Seul ton regard mène la danse. Le vent et les fenêtres qui une à une s’éclairent sont autant de partitions pour ta musique quotidienne. Mais il fait toujours trop haut depuis ta fenêtre. Trop haut pour voir l’humanité bouger, les visages rompre la nuit, trop haut pour sentir le frémissement du jour appeler à vivre. Depuis ton hublot, tu lances le rideau au vent. Drapeau blanc. Tu te rends.


  • 23.7.20

En traversant le parc

En traversant le parc. 

Une fille sur un banc une main
dans les cheveux, l’autre sur
le bouton coeur de son téléphone. 

Un jeune garçon et ses pigeons
à qui il dit, émiettant du pain :
il y en aura pour tout le monde. 

Un vieil homme près de la fille
aux cheveux reflets mauves,
ses mains usées et son crâne chauve. 

Un clochard près des pigeons
et de sa casquette en sébile,
allongé sur l’herbe et la mie de pain.
  • 22.7.20

July 21

C’est un jour de juillet. Pas un jour dont on oublie la date : le vingt et un en deux mille un. On n’oublie pas l’année non plus. Cette année-là où quelques mois plus tard, le monde se trouvera bouche bée. C’est trois mois plus tôt, donc. Trois mois plus tôt d’avant ce onze maléfique, c’est mon « july 21 ».

Toi, la date, tu t’en moques. Maintenant.

La rue est grisée d’été. Un léger vent balaie les gens rassemblés devant la porte. Les gens. Ces proches et ces inconnus, venus te voir et qui portent la tête basse, cérémonieux. Les regards sont vides et gênés d’être là. Pourtant ils sont venus. Ça se fait de venir dans ces moments-là. On s’habille en strict, on arbore le masque opportun et on vient planter la rue de sa présence. On vient combler le vide.

Toi et le vide que tu me laisses et qu’ils veulent remplir. Tu t’en fous.

Dans la maison, c’est l’été mais il fait froid. Il a toujours fait froid dans cette maison. L’humidité y est maîtresse, elle suinte de salpêtre qui nappe les murs et la tapisserie en vomit des tonnes. Personne ne semble le voir. Pourtant dans les recoins, le noir qui pourrit parade. La famille est regroupée dans le couloir, à guetter le dehors par l’entrebâillement de la porte, à compter qui est venu, à fustiger ceux qui ne sont pas là. 

Toi, tu es dans le salon. Allongé et paisible, tu dois te marrer.

La moquette murale verte à gros poils bâille sur toi. L’odeur de ton tabac qui l’imprègne descend dans ma gorge pour y déposer quelques graviers que j’ai peine à déglutir. On entre pour te voir, faire le tour de toi une dernière fois pour que tu partes avec du souvenir. Que tu n’oublies pas les visages contrits mais aussi les regards en faux qui s’apitoient en folklore. Je remets en place le col de ta chemise. On aurait du l’amidonner. Je frotte les manches de ton costume pour le débarrasser des filets de poussière. Cette pièce est un nid d’araignées. Je dépose un baiser sur tes joues fraiches. Ils t’ont maquillé comme un acteur de théâtre. Je pense au dérisoire de mes gestes, je pense à toi, je pense à nous, je pense à l’endroit où tu vas.

Toi, tu t’en moques. Tu es beau.

Extrait de « Rats taupiers », Éditions des vanneaux, 2016
  • 21.7.20

Écrire une maison

Par la fenêtre, des bouts de murs,
fragments de rue,
fragments d’espaces,
qui tiennent tous dans la tête. 

Des rangées de parpaings
se rassemblent sous les ombres,
aussi bien alignés que des soldats
— on dirait pourtant qu’ils bougent 
d’un mouvement perpétuel,
absents du regard
mais tenant parade dans l’âme. 

De quoi écrire une maison
sans se salir les mains
avec cette voix qui construit
des passages secrets.
  • 20.7.20

L’émulsion de la rue

La rue sous une douche d’eau chaude. Une eau invisible, mirage emporté par la réverbération du bitume, mais qui imprime sur les murs le ruissèlement des humeurs. Je marche traînant des pieds sous un soleil qui tremble aux fenêtres. De là, sortent bruits et têtes de brume. Un petit vieux tire ses volets pour se faire une ombre et la haute voix de son téléviseur s’étouffe. Plus loin, une autre ouverture sur le quotidien d’un enfant assis sur le rebord intérieur de sa fenêtre, les pieds nus à travers les barreaux de fer. Il joue sur sa console, casque en mousse vissé sur les oreilles. En face, une dame, masque et tablier assortis, tons orangés pour soutenir l’été, balaie devant sa porte une poussière si dense qu’elle forme un vent de désert sous mes pas. La rue en prend le rhume des foins quand j’entends derrière les murs claquer une dizaine d’éternuements. Après l’éclat et une quinte de toux, plus un bruit mais des murmures sous cloche dans la rue de l’été aux paupières basses. J’entends maintenant l’écho de ma marche, une sensation à l’intérieur comme une flaque que l’on piétine. Je continue automate, le sang aux tempes qui bout sous l’émulsion de la rue.
  • 18.7.20

Qui est cet homme somnolant à la table d’un café ?

Qui est cet homme somnolant à la table d’un café ?
Face à lui, la rue passe de l’ombre à la lumière. On voit le soleil descendre les murs, passer sur le trottoir en découvrant quelques têtes puis s’enfoncer sur la terrasse pour atterrir sur l’homme aux paupières lourdes. Voilà que maintenant tous les rayons sont braqués sur lui comme si un technicien, plus haut dans le ciel, brandissait un projecteur sur son sommeil. 
L’homme et l’ombre autour. L’homme dans ce cercle lumineux parfait. Le spectacle peut commencer : il va se lever, dos droit, tête haute et débuter un solo de claquettes. Il va se mettre à chanter peut-être ou à déclamer un poème pour la rue. Une minute, deux, trois... Mais rien ne vient. 
Quelle est cette ville qui soudainement met en lumière un dormeur ?
  • 13.7.20

Sous de petits cris d’oiseaux

Une nichée d’oiseaux dans tes yeux plissés,
plus tard leur vol à ta fenêtre ouverte,
la mémoire labile vient secouer
les premières fausses découvertes. 

Tu peux faire celui qui oublie
les migrations que c’est d’être 
pour te concentrer sur le babil
et les grands yeux des nouveaux nés. 

Rien ne desserrera les poings d’ancrage 
dans ton corps aux souvenirs lourds
de tout un surplus de tapages. 

Rien ne changera la course de l’eau,
sinon la mort qui tient la corde 
sous de petits cris d’oiseaux.
  • 11.7.20

On compte les absents sur la jetée

Les heures, ces bouées 
auxquelles on s’accroche 
pour penser nos jours,
les faire voler sur les vagues. 

Et quand vient le soir
on compte les absents sur la jetée,
pièces mouvantes d’un puzzle 
trop grand pour nous. 

Nous restent l’écume, le vent
et les ellipses molles 
que l’on imagine prouesses
à noter dans la boîte à souvenirs.
  • 10.7.20

Il fait un jour à laisser l’été suivre sa ligne

Il fait un jour à laisser l’été suivre sa ligne.
Lentement, sous l’ombre d’un petit pont, un piaf du bec se déplume en regardant les rares promeneurs passer sur la berge. On voit sur la rivière la ligne d’un pêcheur qui tremble dans les vapeurs du ciel. Plus loin, sur les talus, des arbres ont soif et dressent leurs bras chétifs pour implorer le grand pardon. De l’eau sous cet été de tôle brûlante ! Il en faudrait à foison pour étancher les lueurs fauves qui traversent nos fronts. On regarde l’oiseau, la rivière, les arbres et la saison s’épouiller. 
Il fait un jour à laisser l’été suivre sa ligne.
  • 9.7.20

Qui des deux ?

Qui du haut sapin ou du frêle ruisseau nous émeut le plus ? L’un nous rappelle à nos âges par son tronc découpé en lamelles de dizaines d’années tandis que l’autre, sage venu des plus hautes cimes, coule depuis bien plus longtemps que nous.
La majesté forestière qui tutoie le ciel ou l’humilité du ruisseau qui sous l’été s’assèche ?
La robustesse de l’arbre, son écorce comme peau friable mais inaltérable, sa propension unique à ployer sous le vent sans jamais céder ou le doux filet de l’eau qui trace son chemin sans grand fracas ni démonstration de force ?
L’un et l’autre, sans aucun doute. Tous deux indissociables, étalons de mémoire et de paix. Un couple parfait, détenteurs de l’équilibre naturel, dans la force et la délicatesse, l’aplomb et l’humilité.


  • 7.7.20

L’après-midi a les jambes lourdes

L’après midi a les jambes lourdes
et la tête embrumée. 

Dans le marronnier, une mère
effraie appelle sa progéniture. 

Le vent qui tourne dans la cour 
jour à cache-cache avec les mouches. 

On sent l’herbe fraîchement coupée
et l’heure de la sieste arriver.
  • 6.7.20

Crime du petit jour

Le soleil rase les toitures de zinc,
la ville étire ses longues jambes. 

Derrière un mur, quelqu’un regarde
ce ciel de plomb comme s’il allait flamber. 

L’heure a beau faire la belle,
l’angoisse fait son train. 

Tapi sous l’ombre des grandes tours,

quelqu’un racle sa gorge,
l’œil fendu face au crime du petit jour.
  • 3.7.20